Waleed al-husseini dans Rebelles d’Allah


« Waleed al-Husseini est né à Qalqilia , dans le nord de la Cisjordanie.
Une petite ville palestinienne qui pourrait être bucolique si le mur de séparation érigé par les Israéliens ne défigurait pas son horizon d’oliviers. Avoir 20 ans au cœur de l’interminable drame palestinien, avec sa
symbolique redoutable, centre de gravité des passions musulmanes dans le monde entier, n’a pourtant pas fait de Waleed al Husseini un islamiste.
Ce jeune homme est athée. Le seul athée déclaré de Palestine. Il l’a payé très cher.
Ce n’est pas au Moyen-Orient que j’ai rencontré Waleed mais à Paris. Réfugié politique en France, il venait de sortir d’une geôle palestinienne où on l’avait jeté pour délit d’incroyance. Il n’avait pas été embastillé par le Hamas à Gaza mais par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie...

Nous étions très loin de sa terre natale, à deux pas du marché d’Aligre , dans le douzième arrondissement de la capitale.

Waleed, crinière brune et teint d’ivoire, silhouette fragile mais volonté de fer, venait de fonder avec une poignée d’audacieux, hommes et femmes du monde entier, le Conseil français des ex-musulmans. Dans le modeste local prêté par une association de bénévoles, ses camarades iraniens, marocains, algériens, tunisiens, britanniques et français proclamaient haut et fort que la liberté de conscience devait être un droit inaliénable/.../


Comment s’affranchit-on des préjugés de son milieu, du conformisme de sa société ? Comment la curiosité naturelle des enfants refuse-t-elle de s’émousser malgré le poids énorme destiné à l’écraser ? Waleed se souvient seulement de la première question posée au professeur de religion à l’école de Qalqilia . Il avait 13 ans. « On étudiait le Coran, les hadiths, les traditions attribuées au Prophète, et la Sira, la vie de Mahomet. Mais je relevais des contradictions. Le Coran dit en effet que l’homme suit son destin : en même temps, le Prophète affirme que nous sommes responsables de nos choix. J’ai donc demandé une chose simple : l’homme dispose-t-il de ses choix ou suivons-nous un destin tracé d’avance ? »


La réponse fuse: « Ta question est haram ( péché), elle est inspirée par Satan ! »
L’interrogation reste en suspens, aggravée par les menaces du maitre. « Vers 14-15 ans, j’ai posé la question à un autre professeur et il m’a fait la même réponse. Je me suis rendu à la mosquée et j’ai posé la question à l’imam. Même chose. » L’adolescent décide alors de mener l’enquête lui-même :
« J’ai commencé à lire la Sira, les hadiths, puis les Mutazilites, ces philosophes rationalistes du 9ème siècle...»


La Sira, première « biographie » de Mahomet, a été rédigée avec un grand luxe de précisions par Ibn Ishaq, un siècle après la mort du Prophète. /.../Les hadiths sont les « traditions » ou faits et gestes attribués à Mahomet par des témoins supposés. Il y a débat depuis des siècles : lesquels disent vrai, lesquels disent faux ? Une véritable dictature des hadiths a fini par prendre le contrôle de l’islam contemporain/.../Les Mutazilites, champions du libre arbitre, connurent à Bagdad, alors capitale de la pensée, un quart de siècle de gloire, de 817 à 849, protégés par Al Maamoun, le calife abbasside intello qui adhéra à leur doctrine.
« L’enseignement traditionnel, tel que nous le recevions à Kalkilya, les présentait comme des gens qui trahissaient le véritable islam » se souvient Waleed. Il poursuit ses recherches en solitaire, sur la piste des polémiques fécondes du passé, interdites aux musulmans d’aujourd’hui par la déferlante obscurantiste/.../ Sur le Web des nuits blanches de Waleed, défilent les débats des temps islamiques reculés. Le jeune Palestinien est bouleversé :
« Plus je lisais, plus je découvrais que je n’étais pas seul comme je l’avais cru. Beaucoup de monde, en réalité, discutait depuis des siècles ! C’était un grand choc pour moi. »
Il crée son premier blog, simplement intitulé « Athée ». C’était le premier blog arabe du genre. Un défi incalculable.
Etre né dans la foi musulmane et se proclamer athée, dans le monde islamique, c’est devenir un apostat. Et l’apostasie est punie de mort.
« Tout le monde m’a insulté. Personne ne m’a soutenu. Il ne reste malheureusement rien de ces premiers textes : quand j’ai été arrêté, plus tard, par l’Autorité palestinienne, ils ont récupéré mon mot de passe , effacé tous mes articles et publié, en mon nom, de fausses excuses à tous les musulmans. A l’époque, j’étais étudiant à Jenine, j’avais une petite chambre à moi. Je menais une double vie : celle de mes recherches sur l’islam et ma vie publique au dehors. J’étais absolument seul , je ne parlais jamais de mes recherches sinon tous m’auraient traité de mécréant/.../Enfin, j’ai trouvé des gens qui rejoignaient mon blog. Au bout de trois mois , avec des amis tunisiens, j’ai créé une page Facebook intitulée « La lumière de la raison », « Nour al Alkal ».


Représentons-nous à Jenine, ce jeune homme à la recherche de la vérité. Autour de lui, soldats israéliens et jeunes Palestiniens jouent au chat et à la souris. Sempiternelles images d’un conflit désespérant. Appels à l’intifada, bouclages, guerres intestines. Apologie du « chahid », le martyr. Là-haut sur les collines, les colons israéliens s’emmurent. Pour eux la Palestine est un bloc compact et hostile. De temps à autre, on s’égorge. Le sang répond au sang. La nuit parle à la nuit.
Pendant ce temps, quelqu’un se livre, dans un secret absolu, à des recherches quasi-voltairiennes. Dans sa chambre luit cette « Lumière de la raison » qui fait de Waleed al Husseini un enfant d’Averroès, de Descartes et de Spinoza. Patiemment, le jeune Palestinien s’arrache aux illusions qui façonnent l’imaginaire et le comportement de son milieu natal/.../



« J’écrivais sur le Prophète, sur Allah, sur la science. J’ai lancé des appels à rompre le ramadan. Je n’avais rien contre l’Islam. Simplement, il ne répondait pas à mes questions et j’avais créé ce blog pour découvrir la vérité. »



Waleed avait écrit une centaine de textes quand il fut arrêté par
les services de renseignement de l’Autorité palestinienne, lancés depuis sept mois dans une chasse au mécréant. Pourtant, les grandes figures du nationalisme palestinien n’étaient pas spécialement bigotes. Le poète Mahmoud Darwich ne chantait pas le ciel mais la terre, les femmes, la solidarité, l’arôme du café de sa mère et les yeux de sa première amante, Rita la juive. En janvier 2007, un an avant sa mort, celui qui restera la plus haute voix de la Palestine me confiait son angoisse grandissante face à la montée du fanatisme religieux : « Je suis un laïque qui défend la liberté de création et d’expression. »


Waleed al Husseini est jeté au cachot. Il a le courage d’y entamer d’étranges discussions avec ses geôliers: « Je leur demandais : nous n’avons donc pas la liberté de penser ? Ils me répondaient que l’Islam était la source de notre Constitution. Par conséquent, l’Autorité palestinienne ne pouvait pas tolérer que je m’exprime ».


Traduit devant un tribunal militaire, il est condamné à 7 ans de prison. Il a subi les privations de sommeil, l’obligation de rester debout des heures entières sous les menaces. Il n’a droit à aucune visite, à aucun avocat. En Europe et au Maghreb, ceux qui avaient fait la connaissance de Waleed à travers sa célébrissime page Facebook s’affolent. « On faisait tout ce qu’on pouvait, explique Atika Samrah, Marocaine et ex-musulmane, mais il avait complètement disparu »/.../
Par chance pour l’insoumis, le débat sur la proclamation de l’Etat palestinien monte dans l’opinion et dans les chancelleries. Le soutien de la France et des pays européens est vital pour le président Mahmoud Abbas face à l’opposition des Etats-Unis et d’Israël. L’affaire du blogueur athée embastillé jette un froid. Les pressions se multiplient. Le jeune homme est enfin relâché. La France, terre d’accueil des esprits libres, lui offre l’asile politique. Désormais, c’est de Paris que Waleed al Husseini, fils de Palestine, veut « défendre la liberté de penser dans le monde islamique». 

( Extraits des « Rebelles d’Allah », à sortir en janvier aux éditions de l’Archipel)

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